Sur la route de Pachacamac
Il
est quatre heures de l’après-midi. Le car court depuis près de vingt minutes
sur l’asphalte brûlant qui fond sous la chaleur. 40° à l’ombre ! Voire
plus. Mais ici, il n’y a pas d’ombre ! Pas un arbre, pas même une
broussaille, et encore moins, une touffe d’herbe dans ce paysage plat à perte
de vue. La route s’étale entre deux bandes de sable, immenses. Aussi loin que
porte le regard, rien ne vient troubler la vue de ce serpent noir s’étirant
sans fin au milieu d’un jaune gris qui semble vouloir nous dévorer :
véhicule et passagers. Soudain, à je ne sais quel repère, le chauffeur s’arrête
et quelques voyageurs audacieux descendent. Chargés de lourds ballots, ils
partent vers la gauche, peut-être vers quelques masures de torchis dissimulées
un peu plus loin. Mon guide me fait signe de le suivre. Je pose pied à terre et
cherche : il m’a promis la mer. J’ai beau écarquiller les yeux, puis les
cligner, pour mieux voir au loin. Rien, où est la plage ? Ou plutôt
l’océan qui me rafraichira ? Il fait chaud, très chaud. Nous marchons
difficilement en nous enfonçant dans ce sable fin et sec. Dix minutes passent.
Dans cette immensité, nous ne voyons plus la route et pas encore la mer. Mon
guide m’aurait-il trompé ? Tout est désert maintenant. Rien ne bouge. Seul
le silence répond à l’inquiétude qui commence à sourdre en moi mais non, je
dois lui faire confiance. Je n’ose pas lui poser de question. De la route, tout
semblait plat. Où allons-nous vraiment ? Brusquement, encore quelques
mètres, et un son lointain nous parvient comme celui d’un marteau qui enfonce
un clou. Il s’amplifie et enfle. Tout à coup,
le paysage se découvre, fulgurant d’une beauté éclatante. Sous l’azur du
ciel sans nuage apparait, là, en contrebas, l’océan d’un bleu intense qui écume
et roule des vagues énormes. Elles éclaboussent, sur le côté, quelques rochers
couleur ocre, qui rutilent sous les feux du soleil, si puissant à cette heure
de la journée. Je suis médusée. Un instant, je ferme les yeux, aveuglée par
tant de lumière. Rapidement, je les ouvre à nouveau pour contempler cette
magnificence et cette variété de couleurs, pour conserver à jamais au plus
profond de moi, le choc de cet éblouissement, de cette
rencontre. La pente descend rapidement et le sable plus blanc de la plage semble courir vers la vague comme pour se
rafraîchir. Nous nous réfugions dans l’anfractuosité d’un de ces rochers pour
nous reposer et nous protéger de l’ardeur du soleil. J’observe les reflets
argentés qui comme dans un prisme, courent sur la surface de l’eau. Je ne me
lasse pas de contempler le flux et le reflux de cet océan qui vient mourir à
mes pieds. Parfois, je sens sur mon visage, les embruns des lames qui claquent
sur le rocher. Mon guide me suggère de repartir. Il nous faut retrouver la
route. A regret, j’abandonne mon refuge, un peu inconsciente de l’heure. Alors
que nous remontons la pente, le soleil
plonge dans la mer et la nuit tombe en quelques minutes. Il est six
heures et nous sommes sous les tropiques ! Une légère brume s’élève et se répand. Nous voilà seuls perdus dans
cette immensité. Pas d’autre visiteur ni d’habitant visible, ni à gauche, ni à
droite. Je frissonne, anxieuse. Retrouverons-nous la route ? Comment
s’orienter dans cette obscurité qui nous enveloppe? Et comment regagner la
ville ? Mon guide ne semble pas soucieux. Soudain, je sens sous mes pieds,
un sol moins meuble. Je ne me suis pas rendu compte que nous sommes sur le bord
de la route. Nous stoppons et attendons. Brusquement, deux phares percent cette
atmosphère cotonneuse et le bus s’arrête à notre hauteur. Ouf ! Je
respire ! …. 22/07/2013 M.T.H.Z.
Sur l’altiplano
Sous le saphir encore étoilé du ciel, sans nuage,
la terre plate s’étend vaste et grise jusqu’à se perdre dans l’horizon. De prime abord, rien n’accroche le regard :
pas de maison visible ou de monument et
surtout pas d’arbres. Seules quelques courtes herbes jaunies, piquées çà et là
donnent un semblant de vie à ce paysage qui parait figé à jamais pour
l’éternité. La route qui le traverse, se
distingue à peine, petit serpent au dos légèrement ocré, se coulant comme
par lentes reptations, dans la roche affleurante. Mon œil balaie l’immensité de
ce panorama d’où se dégage une impression de grande sérénité. Le silence sied
parfaitement à ce site. De temps à autre, une ombre rapide se dessine et
s’enfuit. Silhouette fugace d’un animal sauvage qui, parfois, s’arrête quelques instants pour
brouter une maigre touffe. Mon regard se fait plus aigu et s’attarde sur cette
plaine interminable. Il découvre bientôt quelques légers monticules et
dénivellations et là, sur le côté, presque à portée de mains, deux femmes
accroupies sur le bord du chemin. Je ne les avais pas remarquées tant elles se
fondent dans ce décor. Leur chapeau melon de feutre beige orné d’un ruban noir
les protège du soleil naissant qui darde ses rayons, et de la lumière crue qui
brûle les yeux et aveugle. Leur jupe laineuse tombe sur le sol, cachant leurs
gros bas sombres et leurs sandales fabriquées dans de vieux pneus. Leur buste
est couvert d’une veste de laine, verte émeraude pour l’une et indigo pour
l’autre. Autre note de couleur, la couverture qu’elles ont tissé elles-mêmes en
bandes régulières : une large, rouge rubis, une plus étroite, jaune sable,
puis une plus large, orange, et enfin une plus étroite, vert bouteille pour
finir de nouveau sur le rouge rubis. Leurs bras croisés sur la poitrine
retiennent les deux bords de cette toile qui recouvre leur dos mais aussi
l’enfant qui y dort l A leurs côtés,
d’énormes ballots sont posés à même le sol et aucun mouvement ne vient attirer
l’attention. Depuis quand sont elles là, statiques, comme des statues de pierre ?
Leur présence m’interpelle.
Soudain, comme si elles
avaient aperçu un signe dans le ciel ou reçu un message de l’au-delà, elles se
lèvent, attrapent leurs paquets et se postent, droites, sur le chemin. Surgit
de nulle part, un camion s’approche en hoquetant. Elles attendent, impassibles.
Il passe sans s’arrêter, déjà trop lourdement chargé ! Elles se retrouvent
enveloppées dans le noir nuage de fumée de son tuyau d’échappement. Quand il se
dissipe, elles sont déjà loin, absorbées, dissoutes dans cette nature sauvage
comme par magie. Ce n’est pas aujourd’hui qu’elles pourront aller à la ville.
Peut-être demain, après une longue attente !...
24/07/2013 M.T.H.Z.
VERT
EST MA COULEUR
Vivre
dans un appartement, en ville, sans
sortir, ne m’apparaissait pas comme un
pensum pas même comme quelque chose d’impossible à supporter. Je n’en éprouvais
pas le besoin. Je n’aime pas jardiner et je croyais que rester « dans mon
bocal », avec mes livres et mes papiers,
me suffisait. Pourtant J’ai toujours vécu entourée de plantes et de
fleurs mais je m’y croyais insensible jusqu’au jour où j’ai voyagé à
l’étranger. J’ai séjourné dans une ville bâtie sur le sable entourée de
collines de roches gris jaune. Sur leurs flancs s’accrochaient des maisons
construites de nattes de paille ou de pisé couvertes de tôles ondulées, entassées les unes sur les autres. Seuls
dominaient l’ocre et le gris. Et cette accumulation d’abris de fortune donnait une
impression de vertige. A la moindre secousse, tout pouvait s’écrouler.
En
ville, les façades des immeubles, bien plantés en terre, étaient souvent
blanchis à la chaux ce qui leur donnait un côté rassurant. Quant aux pavillons
des quartiers résidentiels, elles
offraient aux passants, leurs couleurs vives : rose vif, bleu soutenu,
orange ou blanc. Mais la poussière ambiante salissait vite les
uns et les autres, créant de larges trainées noires sur leurs murs.
Parfois, derrière les grilles de fer
forgées, des bacs remplis de fleurs roses ou rouges égayaient les fenêtres.
Mais dès que l’on s’éloignait, plus de fleurs, pas de végétation, seulement le
gris sale de la poussière dans les rues. Il me fallait sortir de la ville,
quelque chose manquait à ma respiration. J’entrais alors dans le domaine des
dunes et du sable à l’infini. Seul, le noir de la route asphaltée, rayait ce jaune d’une zébrure
serpentine ! Le ciel avait beau être d’un bleu profond et le soleil
brillait de tous ces feux, il me manquait à cette palette, un vert, « le
vert » ! Où se trouvaient les arbres et leurs frondaisons, l’herbe
tendre du gazon, les feuilles qui frémissent au vent ? J’avais beau
fouillé l’horizon. Point de vert dans toute la région !
Ce
jour-là, je pris conscience de ce que représentait pour moi cette teinte avec
toutes ses nuances. Le vert jaunâtre des bourgeons qui annoncent la belle
saison et le printemps qui revient, le vert clair des feuilles nouvelles et
celui plus foncé des conifères ou des plantes comme le lierre. J’avais besoin de boire le vert comme une
source rafraichissante. Cette couleur devenait pour moi, symbole de la vie et
de la vigueur, de la force mais aussi de la tendresse.
Je
peux toujours vivre en ville et ne pas cultiver mon jardin à la condition
d’apercevoir, au moins, de ma fenêtre, quelques arbres touffus plantés sur une
pelouse bien verte. Alors le soleil peut briller ! Il fera étinceler en
mille nuances les feuilles et les herbes de mon paysage préféré. J’ai parfois
l’impression de ne pas le voir mais je le respire par les pores de la peau et s’il vient à disparaitre alors je ressens
son absence comme si, soudain, je m’étouffais. Aussi, malgré mon peu de goût
pour le jardinage, j’ai toujours dans un coin de la maison, une plante verte en
pot.
29/08/2013 M.T.H.Z.
Lima –
C’est l’hiver ! Je marche rapidement dans la
ville que le brouillard recouvre. Elle semble se
diluer dans cette atmosphère cotonneuse où tout semble irréel. Les maisons et
les immeubles se balancent dans cet environnement où tout devient flou. Tels
des feux
follets semblant bondir sur le pavé humide, les lampes à pétrole des rares
passants, jettent une lumière blafarde, créant des ombres sur leur passage.
Elles croissent et décroissent comme de grandes voiles de bateaux déchirées par
endroit. Le port est là, tout près, à quelques kilomètres ! Le hurlement d’une
sirène dans la brume, annonce le départ d’un navire vers la haute mer. Les cris
discordants des pélicans résonnent dans l’air. Ces oiseaux se battent entre
eux pour se nourrir des déchets de
poissons. Le marché en plein air vient d’ouvrir ! Comme chaque matin, les
petits vendeurs s’activent auprès des barques pour récupérer le poisson frais.
Je ne les vois pas, ils sont trop loin. Je les devine. D’ailleurs, la brume ne
me laisserait percevoir que des ombres ! Le soleil n’apparaitra pas
aujourd’hui. Il ne pleut pas, il ne pleut jamais. Seule cette bruine qui vous
enveloppe, vous transit jusqu’aux os. Me voilà enfin arrivée au bout de cette
interminable avenue. L’air marin apporte des relents de fruits pourris et de
goudron. Par-là, des pêcheurs calfatent une barque. Je me
bouche le nez et tourne le dos à la mer. Je suis sur la place où stationnent
les bus en partance pour la montagne. Comme toujours, ils sont bondés. Les
passagers, venus des banlieues environnantes, se pressent à l’intérieur.
Tous ne peuvent rentrer. Certains restent sur les marchepieds ou s’agrippent
aux pare-chocs. Je réussis à me glisser
dans celui qui me conduira à trente kilomètres de là. Dans un tintamarre
infernal de bruits métalliques, il démarre. Il se secoue tellement !
Va-t-il se désarticuler sur place ? Mais non, je ne sais comment, il
résiste malgré la rouille et les odeurs de caoutchouc brûlé ! Et vaillant
comme toujours, il grimpe, il grimpe. Le moteur renâcle et tousse mais il
avance, aveugle dans cette nébulosité liquide qui s’épaissit. Encore quelques
kilomètres et soudain, ce manteau sombre qui couvre la ville, se déchire en
deux. Un soleil radieux brille, étincelant sur la montagne. Quel spectacle
époustouflant ! Ce n’est pas la première fois que je vois ce phénomène
mais chaque fois, j’en ai le souffle coupé. Je ressens comme une libération
intérieure inexpliquée, le brouillard m’oppressait sans doute. J’ai envie de chanter à
tue-tête, la lumière retrouvée !
29/03/2013
M.T.H.Z.
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