MUR DES FÉDÉRÉS, 24 Mai 2014
Chaque année nous nous réunissons ici pour rendre hommage aux
communardes, aux communards et pour rappeler ce que fut la Commune dans sa
riche diversité. Chaque année notre association, fondée par des communards de
retour d'exil, choisit aussi un thème qui permet de souligner l'apport original
de la Commune de Paris. Cette année, l'œuvre démocratique,
La démocratie,
gouvernement du peuple par le peuple et pour le peuple, est conçue par les
communards comme un exercice quotidien et effectif. La mise en œuvre de cette
aspiration, dans tous les domaines, aussi bien militaire, que politique,
institutionnel, économique ou sociale, tout au long de la Commune est un trait
majeur qui l’identifie comme une référence pour celles et ceux qui partagent ce
qui reste aujourd’hui un objectif.
Répondant à l'urgence
et en une durée trop brève, les expériences mises en œuvre durant les semaines
de la Commune de Paris ont ouvert de nouvelles perspectives qui par bien des
aspects restent très actuelles.
Il y a 143 ans, le 18 Mars 1871, débutait la Commune de
Paris, dans le mouvement d'un élan patriotique et républicain qui s'était levé
après l'effondrement militaire du IIIème
empire, effondrement encore confirmé après les tergiversations du gouvernement
républicain bourgeois dit de «Défense Nationale», après un long siège de Paris
ayant imposé au peuple de profondes souffrances. La faillite de ce gouvernement
avait abouti à l'élection, dans des
conditions anormales, en Février 1871, d'une chambre dominée par les
monarchistes qui préféraient sans doute déjà les troupes prussiennes au peuple
de Paris en armes. Il n'était plus question de «guerre à outrance», Thiers,
conservateur et libéral l'emportait et reprenait aussitôt les pourparlers avec
Bismarck, signant la paix le 10 Mars 1871 et s'installant, significativement, à
Versailles.
A Paris, ville républicaine, la mémoire de la Commune
insurrectionnelle de 1792 et la volonté de changer la société restaient plus
vivaces que jamais, les révolutionnaires, blanquistes, proudhoniens,
socialistes de diverses écoles, étaient organisés dans des formations
insurrectionnelles, dans les sections de la jeune Association Internationale
des Travailleurs, dans les chambres syndicales, les sociétés corporatives, les clubs
et les assemblées populaires.
Enfin, la Garde Nationale, force militaire rassemblant les
citoyens en armes restait mobilisée; son
élargissement numérique ayant aussi modifié sa composition sociale, avec des
bataillons plus populaires, composés d'ouvriers ou d'artisans nombreux. Les
officiers y étaient élus et la capacité d'auto-organisation y était large.
Dans la nuit du 17 au 18, un coup de main exécuté par une
division et une compagnie envoyés par Thiers vise à occuper les points
stratégiques de la capitale et à récupérer l'artillerie pourtant acquise par
souscription des Parisiens pour lutter contre les Prussiens. La riposte est
inévitable et immédiate. Le 18 mars, à Montmartre et Belleville, les soldats
sont mis en échec par la population. Ils refusent de tirer sur la foule et
fraternisent. Le Comité Central de la Garde Nationale s’installe à l’Hôtel de
ville et, dans un souci immédiat de légitimité, appelle à l’élection d’une
assemblée communale. Dans la soirée, les principaux bâtiments publics sont
réinvestis.
Ainsi, la conscience patriotique fonde d’abord l’insurrection
du Comité Central de la Garde Nationale, qui prend l’initiative de ne pas
laisser à une puissance étrangère le soin de trancher par la force et de
favoriser une faction, pour décider ailleurs des conditions d'existence du
citoyen. Bien des peuples aujourd’hui encore peuvent mesurer la profondeur de
leur ruine quand leur souveraineté est ravie par des puissances étrangères,
proches ou lointaines.
Au delà, commence avec La Commune de Paris la recherche d'une
démocratie authentique, gouvernement du peuple, par le peuple et pour le
peuple.
L'élection du Conseil de la Commune a lieu le 26 mars. La
Commune de Paris est proclamée le 28 mars. Parmi les 85 élus, 25 ouvriers. 19
élus refusent de siéger et rejoindront Versailles, une majorité animée par des
blanquistes, des jacobins, une vingtaine de radicaux ou révolutionnaires
indépendants, une minorité, plus soucieuse de transformations sociales et moins
encline aux décisions autoritaires rassemble des élus partisans d'une
organisation socialiste décentralisée et autogérée, influencés par
l'Internationale.
Le 28 Mars la foule se réunit sur la Place de l'Hôtel de
Ville dans une vibrante ambiance de Fête, pour proclamer la Commune.
Sur le plan institutionnel, première particularité
remarquable, la Commune est un régime d'assemblée sous contrôle populaire: le
Conseil rassemble les pouvoirs législatif, exécutif, judiciaire et militaire.
Comme le précise plus tard Varlin «il faut, chaque fois que nous ferons un
décret, indiquer quel sera le délégué chargé de l'exécution pour ce décret»,
suivant le principe du mandat impératif, les membres sont «responsables et
révocables à tout moment».
En matière de démocratie représentative, pas de condition de nationalité,
pas de cumul des mandats[1]
(un député à l'Assemblée Nationale ne peut être élu Conseiller à Paris).
Rappelons aussi, que le souci de publicité des séances, actes
solennels, décrets et arrêtés est rapidement affirmé avec l'affichage du
Journal Officiel. En effet, malgré les difficultés matérielles, les journaux se
multiplient et de nombreuses feuilles hostiles visent à la désinformation.
Une autre particularité encore plus remarquable est la
recherche de la mobilisation des organisations sociales et l'exercice effectif
de la souveraineté populaire au quotidien, par un contrôle réel, direct et
effectif, des citoyens sur leurs conditions d'existence plutôt que la
seule représentation avec délégation de
pouvoir. C'est la préfiguration de ce que l'on qualifierait peut-être
aujourd'hui d'authentique démocratie participative.
Dans cet esprit, les femmes ne revendiquent pas d'abord le
droit de vote, mais leur place réelle dans la cité où elles vont effectivement
exercer de grandes responsabilités, créant la plus grande association de
solidarité et d'assistance, des écoles pour filles; avec les communards, elles
luttent aussi pour l’égalité des salaires à compétence égale, ce sera fait pour
l'égalité entre instituteurs et institutrices, elles luttent encore pour
obtenir du travail.
Cette démocratie approfondie explique que, malgré la brièveté
de ses 72 jours d'existence, la Commune ait réussi à adopter des mesures
d’avant-garde dans tous les domaines.
Des mesures de circonstance, mais vitales, sont prises:
pensions aux blessés à l'ennemi, aux femmes mariées ou non de garde national
tué, remise des objets de nécessité gagés au mont de piété
La Commune entend aussi réaliser l’aspiration du mouvement
ouvrier français du 19ème siècle l’émancipation des travailleurs par les
travailleurs eux-mêmes avec des mesures
visant à l'amélioration des conditions de travail ou à la promotion de
l'autogestion: abolition du travail de nuit des boulangers, lutte contre le
chômage, constitution de coopératives ouvrières ou réquisition des ateliers
abandonnés, interdiction des amendes et retenues sur salaire, interdiction de l’expulsion des locataires
pour ne citer que les plus connues
Le 3 avril, les communards décrètent la séparation de
l’église et de l’état, 35 ans avant la loi de 1905, instaurent l’école laïque,
gratuite et obligatoire et créent un enseignement professionnel pour tous,
filles et garçons.
Avec l'isolement lié au siège de Paris, les oppositions
ville/campagne bien exploitées par les conservateurs, la Commune n'a pas
rencontré avec sa proposition de Pacte Fédératif tout l'écho qu'elle espérait
après des tentatives qui avaient eu lieu plus tôt, à Lyon, Marseille,
Saint-Etienne, Le Creusot, Toulouse, Narbonne, Perpignan, ou d'autres villes
encore. Ce mouvement communaliste n'a pu être coordonné, mais l'idée fédérative
(une fédération de communes remplaçant l’État) portée notamment par les
proudhoniens avait été mise en avant.
Comme l'apprécie Karl Marx, à sa façon: «Ce ne fut pas une
révolution contre telle ou telle forme du pouvoir d’État, légitimiste,
constitutionnelle, républicaine ou impériale. Ce fut une révolution contre
l’État lui-même, cet avorton surnaturel de la société ; ce fut la reprise
par le peuple et pour le peuple de sa propre vie sociale. Ce ne fut pas une
révolution faite pour transférer ce pouvoir d'une fraction des classes
dominantes à une autre, mais une révolution pour briser cet horrible appareil
même de la domination de classe.»[2]
Parmi les grandes questions qui restent d'actualité et qui mériteraient
d'être longuement développées, Les Communards n'invitent pas seulement à
approfondir les conceptions de Fédération ou d’État, d’État ou de Nation, les
communards portent aussi une aspiration universelle.
Nombreux sont les étrangers qui ne s'y trompèrent pas et
participèrent à la Commune, travailleurs immigrés, belges, luxembourgeois,
garibaldiens, patriotes et révolutionnaires qui cherchaient asile dans le pays
incarnant les Droits de l’Homme. Un juif hongrois, ouvrier bijoutier, Léo
Frankel, sera promu ministre du travail et inspirera l’œuvre sociale de la
Commune. Des généraux polonais, Dombrowski et Wrobleski, assurent des
commandements militaires. Elisabeth Dmitrieff dirige avec Nathalie Lemel
l’Union des Femmes. Tous les étrangers sont reconnus à part entière dans la
société.
Comme l'écrivait une feuille communarde :
«Frères du monde entier, notre sang coule pour votre liberté,
notre triomphe est le vôtre: debout, tous ! Voici l'aube ! »
Les enjeux démocratiques illustrés par la Commune de Paris
sont toujours devant nous, attachons-nous à les faire connaître!
Des plaques rappelant le nom des élus de la Commune ont
maintenant été posées dans un grand nombre de mairies d'arrondissement à Paris.
Quant à l' l'Hôtel de Ville de Paris, notre demande de pose d'une plaque à
l’entrée de la bibliothèque du Conseil de Paris vient d'être adoptée et rendra
cet hommage :
«AUX ELUS DE LA COMMUNE DE PARIS
QUI ONT ADMINISTRÉ LA VILLE DU 26 MARS AU 28 MAI 1871»
Nous appelons aussi toutes celles et tous ceux qui veulent
résister aux atteintes aux droits sociaux et démocratiques et qui luttent pour en conquérir de nouveaux
à se rassembler en participant à la fête de la Commune 2014, qui aura lieu le
27 septembre sur la place du même nom dans le 13é arrondissement.
Comme celles et ceux qui sont morts, sauvagement assassinés,
il y a 143 ans,
Nous sommes ici
pour l’humanité!
Vivent les
communards!
Vive la
Commune!
[1] Il s'agit de décisions concernant des cas
d'incompatibilité politique et non pas simplement technique entre le mandat de délégué à la Commune et de
représentant à l'Assemblée Nationale, ou encore de cumul interne. Comme attesté
dans les Actes de la Commune adoptés à la séance du 16 Avril , la
« Décision sur l'incompatibilité entre les fonctions de chef de Légion et
de membre de la Commune ». cf. Boisseau P. La Commune de Paris de 1871
à l'épreuve du Droit Constitutionnel Presses Universitaires de l Faculté de Droit de
Clermont-Ferrand : Clermont-Ferrand, 2000. p.117-121
[2] K. Marx, Premier essai de rédaction de
La Guerre civile en France, présenté dans Marx, Engels, Lénine, Sur
la Commune de Paris. Editions du
Progrès : Moscou, 1971. p.145. (apud Boisseau P, op.cit. p.275-276)
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