mercredi 18 juin 2014

SOUVENIRS DU PÉROU. de M.T.H.Z.

Note: Malgré le demi siècle et les 10 000 kilomètres de distance, M.T.H.Z. garde tout frais l’empreinte laissée sur elle son vécu au Pérou. Le contraste des paysages, le courage discret ou expressif de ses gens d'à pied. Mais aussi l'absence du vert sur la côte et les Andes, couleur qui faisait partie de M.T. comme sa propre peau. Merci pour ses quatre textes limpides (inédits).



Sur la route de Pachacamac

Il est quatre heures de l’après-midi. Le car court depuis près de vingt minutes sur l’asphalte brûlant qui fond sous la chaleur. 40° à l’ombre ! Voire plus. Mais ici, il n’y a pas d’ombre ! Pas un arbre, pas même une broussaille, et encore moins, une touffe d’herbe dans ce paysage plat à perte de vue. La route s’étale entre deux bandes de sable, immenses. Aussi loin que porte le regard, rien ne vient troubler la vue de ce serpent noir s’étirant sans fin au milieu d’un jaune gris qui semble vouloir nous dévorer : véhicule et passagers. Soudain, à je ne sais quel repère, le chauffeur s’arrête et quelques voyageurs audacieux descendent. Chargés de lourds ballots, ils partent vers la gauche, peut-être vers quelques masures de torchis dissimulées un peu plus loin. Mon guide me fait signe de le suivre. Je pose pied à terre et cherche : il m’a promis la mer. J’ai beau écarquiller les yeux, puis les cligner, pour mieux voir au loin. Rien, où est la plage ? Ou plutôt l’océan qui me rafraichira ? Il fait chaud, très chaud. Nous marchons difficilement en nous enfonçant dans ce sable fin et sec. Dix minutes passent. Dans cette immensité, nous ne voyons plus la route et pas encore la mer. Mon guide m’aurait-il trompé ? Tout est désert maintenant. Rien ne bouge. Seul le silence répond à l’inquiétude qui commence à sourdre en moi mais non, je dois lui faire confiance. Je n’ose pas lui poser de question. De la route, tout semblait plat. Où allons-nous vraiment ? Brusquement, encore quelques mètres, et un son lointain nous parvient comme celui d’un marteau qui enfonce un clou. Il s’amplifie et enfle. Tout à coup,  le paysage se découvre, fulgurant d’une beauté éclatante. Sous l’azur du ciel sans nuage apparait, là, en contrebas, l’océan d’un bleu intense qui écume et roule des vagues énormes. Elles éclaboussent, sur le côté, quelques rochers couleur ocre, qui rutilent sous les feux du soleil, si puissant à cette heure de la journée. Je suis médusée. Un instant, je ferme les yeux, aveuglée par tant de lumière. Rapidement, je les ouvre à nouveau pour contempler cette magnificence et cette variété de couleurs, pour conserver à jamais au plus profond de moi, le choc de cet éblouissement, de cette rencontre. La pente descend rapidement et le sable plus blanc de la plage  semble courir vers la vague comme pour se rafraîchir. Nous nous réfugions dans l’anfractuosité d’un de ces rochers pour nous reposer et nous protéger de l’ardeur du soleil. J’observe les reflets argentés qui comme dans un prisme, courent sur la surface de l’eau. Je ne me lasse pas de contempler le flux et le reflux de cet océan qui vient mourir à mes pieds. Parfois, je sens sur mon visage, les embruns des lames qui claquent sur le rocher. Mon guide me suggère de repartir. Il nous faut retrouver la route. A regret, j’abandonne mon refuge, un peu inconsciente de l’heure. Alors que nous remontons la pente, le soleil  plonge dans la mer et la nuit tombe en quelques minutes. Il est six heures et nous sommes sous les tropiques ! Une légère brume s’élève  et se répand. Nous voilà seuls perdus dans cette immensité. Pas d’autre visiteur ni d’habitant visible, ni à gauche, ni à droite. Je frissonne, anxieuse. Retrouverons-nous la route ? Comment s’orienter dans cette obscurité qui nous enveloppe? Et comment regagner la ville ? Mon guide ne semble pas soucieux. Soudain, je sens sous mes pieds, un sol moins meuble. Je ne me suis pas rendu compte que nous sommes sur le bord de la route. Nous stoppons et attendons. Brusquement, deux phares percent cette atmosphère cotonneuse et le bus s’arrête à notre hauteur. Ouf ! Je respire ! ….   22/07/2013 M.T.H.Z.

Sur l’altiplano

Sous le saphir encore étoilé du ciel, sans nuage, la terre plate  s’étend vaste et grise  jusqu’à se perdre dans l’horizon.  De prime abord, rien n’accroche le regard : pas de maison visible ou  de monument et surtout pas d’arbres. Seules quelques courtes herbes jaunies, piquées çà et là donnent un semblant de vie à ce paysage qui parait figé à jamais pour l’éternité. La route qui le traverse, se  distingue à peine, petit serpent au dos légèrement ocré, se coulant comme par lentes reptations, dans la roche affleurante. Mon œil balaie l’immensité de ce panorama d’où se dégage une impression de grande sérénité. Le silence sied parfaitement à ce site. De temps à autre, une ombre rapide se dessine et s’enfuit. Silhouette fugace d’un animal sauvage qui,  parfois, s’arrête quelques instants pour brouter une maigre touffe. Mon regard se fait plus aigu et s’attarde sur cette plaine interminable. Il découvre bientôt quelques légers monticules et dénivellations et là, sur le côté, presque à portée de mains, deux femmes accroupies sur le bord du chemin. Je ne les avais pas remarquées tant elles se fondent dans ce décor. Leur chapeau melon de feutre beige orné d’un ruban noir les protège du soleil naissant qui darde ses rayons, et de la lumière crue qui brûle les yeux et aveugle. Leur jupe laineuse tombe sur le sol, cachant leurs gros bas sombres et leurs sandales fabriquées dans de vieux pneus. Leur buste est couvert d’une veste de laine, verte émeraude pour l’une et indigo pour l’autre. Autre note de couleur, la couverture qu’elles ont tissé elles-mêmes en bandes régulières : une large, rouge rubis, une plus étroite, jaune sable, puis une plus large, orange, et enfin une plus étroite, vert bouteille pour finir de nouveau sur le rouge rubis. Leurs bras croisés sur la poitrine retiennent les deux bords de cette toile qui recouvre leur dos mais aussi l’enfant qui y dort  l A leurs côtés, d’énormes ballots sont posés à même le sol et aucun mouvement ne vient attirer l’attention. Depuis quand sont elles là, statiques, comme des statues de pierre ? Leur présence m’interpelle.
Soudain, comme si elles avaient aperçu un signe dans le ciel ou reçu un message de l’au-delà, elles se lèvent, attrapent leurs paquets et se postent, droites, sur le chemin. Surgit de nulle part, un camion s’approche en hoquetant. Elles attendent, impassibles. Il passe sans s’arrêter, déjà trop lourdement chargé ! Elles se retrouvent enveloppées dans le noir nuage de fumée de son tuyau d’échappement. Quand il se dissipe, elles sont déjà loin, absorbées, dissoutes dans cette nature sauvage comme par magie. Ce n’est pas aujourd’hui qu’elles pourront aller à la ville. Peut-être demain, après une longue attente !...
24/07/2013 M.T.H.Z.



VERT EST MA COULEUR
Vivre dans un  appartement, en ville, sans sortir, ne m’apparaissait  pas comme un pensum pas même comme quelque chose d’impossible à supporter. Je n’en éprouvais pas le besoin. Je n’aime pas jardiner et je croyais que rester « dans mon bocal », avec mes livres et mes papiers,  me suffisait. Pourtant J’ai toujours vécu entourée de plantes et de fleurs mais je m’y croyais insensible jusqu’au jour où j’ai voyagé à l’étranger. J’ai séjourné dans une ville bâtie sur le sable entourée de collines de roches gris jaune. Sur leurs flancs s’accrochaient des maisons construites de nattes de paille ou de pisé couvertes  de tôles ondulées,  entassées les unes sur les autres. Seuls dominaient l’ocre et le gris. Et cette accumulation d’abris de fortune donnait une impression de vertige. A la moindre secousse, tout pouvait s’écrouler. 
En ville, les façades des immeubles, bien plantés en terre, étaient souvent blanchis à la chaux ce qui leur donnait un côté rassurant. Quant aux pavillons des quartiers résidentiels,  elles offraient aux passants, leurs couleurs vives : rose vif, bleu soutenu, orange  ou blanc.  Mais la poussière ambiante salissait vite les uns et les autres, créant de larges trainées noires sur leurs murs. Parfois,  derrière les grilles de fer forgées, des bacs remplis de fleurs roses ou rouges égayaient les fenêtres. Mais dès que l’on s’éloignait, plus de fleurs, pas de végétation, seulement le gris sale de la poussière dans les rues. Il me fallait sortir de la ville, quelque chose manquait à ma respiration. J’entrais alors dans le domaine des dunes et du sable à l’infini. Seul, le noir de la route asphaltée,  rayait ce jaune d’une zébrure serpentine ! Le ciel avait beau être d’un bleu profond et le soleil brillait de tous ces feux, il me manquait à cette palette, un vert, « le vert » ! Où se trouvaient les arbres et leurs frondaisons, l’herbe tendre du gazon, les feuilles qui frémissent au vent ? J’avais beau fouillé l’horizon. Point de vert dans toute la région !
Ce jour-là, je pris conscience de ce que représentait pour moi cette teinte avec toutes ses nuances. Le vert jaunâtre des bourgeons qui annoncent la belle saison et le printemps qui revient, le vert clair des feuilles nouvelles et celui plus foncé des conifères ou des plantes comme le lierre.  J’avais besoin de boire le vert comme une source rafraichissante. Cette couleur devenait pour moi, symbole de la vie et de la vigueur, de la force mais aussi de la tendresse.
Je peux toujours vivre en ville et ne pas cultiver mon jardin à la condition d’apercevoir, au moins, de ma fenêtre, quelques arbres touffus plantés sur une pelouse bien verte. Alors le soleil peut briller ! Il fera étinceler en mille nuances les feuilles et les herbes de mon paysage préféré. J’ai parfois l’impression de ne pas le voir mais je le respire par les pores de la peau  et s’il vient à disparaitre alors je ressens son absence comme si, soudain, je m’étouffais. Aussi, malgré mon peu de goût pour le jardinage, j’ai toujours dans un coin de la maison, une plante verte en pot.
29/08/2013  M.T.H.Z.


Lima –
C’est l’hiver ! Je marche rapidement dans la ville que le brouillard recouvre. Elle semble se diluer dans cette atmosphère cotonneuse où tout semble irréel. Les maisons et les immeubles se balancent dans cet environnement où tout devient flou. Tels des feux follets semblant bondir sur le pavé humide, les lampes à pétrole des rares passants, jettent une lumière blafarde, créant des ombres sur leur passage. Elles croissent et décroissent comme de grandes voiles de bateaux déchirées par endroit. Le port est là, tout près, à quelques kilomètres ! Le hurlement d’une sirène dans la brume, annonce le départ d’un navire vers la haute mer. Les cris discordants des pélicans résonnent dans l’air. Ces oiseaux se battent entre eux  pour se nourrir des déchets de poissons. Le marché en plein air vient d’ouvrir ! Comme chaque matin, les petits vendeurs s’activent auprès des barques pour récupérer le poisson frais. Je ne les vois pas, ils sont trop loin. Je les devine. D’ailleurs, la brume ne me laisserait percevoir que des ombres ! Le soleil n’apparaitra pas aujourd’hui. Il ne pleut pas, il ne pleut jamais. Seule cette bruine qui vous enveloppe, vous transit jusqu’aux os. Me voilà enfin arrivée au bout de cette interminable avenue. L’air marin apporte des relents de fruits pourris et de goudron. Par-là, des pêcheurs calfatent une barque. Je me bouche le nez et tourne le dos à la mer. Je suis sur la place où stationnent les bus en partance pour la montagne. Comme toujours, ils sont bondés. Les passagers, venus des banlieues environnantes, se pressent à l’intérieur. Tous ne peuvent rentrer. Certains restent sur les marchepieds ou s’agrippent aux pare-chocs.  Je réussis à me glisser dans celui qui me conduira à trente kilomètres de là. Dans un tintamarre infernal de bruits métalliques, il démarre. Il se secoue tellement ! Va-t-il se désarticuler sur place ? Mais non, je ne sais comment, il résiste malgré la rouille et les odeurs de caoutchouc brûlé ! Et vaillant comme toujours, il grimpe, il grimpe. Le moteur renâcle et tousse mais il avance, aveugle dans cette nébulosité liquide qui s’épaissit. Encore quelques kilomètres et soudain, ce manteau sombre qui couvre la ville, se déchire en deux. Un soleil radieux brille, étincelant sur la montagne. Quel spectacle époustouflant ! Ce n’est pas la première fois que je vois ce phénomène mais chaque fois, j’en ai le souffle coupé. Je ressens comme une libération intérieure inexpliquée, le brouillard m’oppressait sans doute. J’ai envie de chanter à tue-tête, la lumière retrouvée !
29/03/2013  M.T.H.Z.




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