vendredi 30 mai 2014

DEBOUT, TOUS ! VOICI L'AUBE !

NOTE: Voici le texte de l'allocution de notre ami et camarade Henri en hommage aux communards de Paris, devant le Mur des Fédérés (Cimetière du Père Lachaise), prononcé sous la pluie l'après-midi du samedi 24 mai 2014. Allocution faite au nom de l'Association des Amis de la Commune, créée par les communards déportés à leur retour en France.




MUR DES FÉDÉRÉS, 24 Mai 2014

Chaque année nous nous réunissons ici pour rendre hommage aux communardes, aux communards et pour rappeler ce que fut la Commune dans sa riche diversité. Chaque année notre association, fondée par des communards de retour d'exil, choisit aussi un thème qui permet de souligner l'apport original de la Commune de Paris. Cette année, l'œuvre démocratique,
La démocratie, gouvernement du peuple par le peuple et pour le peuple, est conçue par les communards comme un exercice quotidien et effectif. La mise en œuvre de cette aspiration, dans tous les domaines, aussi bien militaire, que politique, institutionnel, économique ou sociale, tout au long de la Commune est un trait majeur qui l’identifie comme une référence pour celles et ceux qui partagent ce qui reste aujourd’hui un objectif.
Répondant à l'urgence et en une durée trop brève, les expériences mises en œuvre durant les semaines de la Commune de Paris ont ouvert de nouvelles perspectives qui par bien des aspects restent très actuelles.

Il y a 143 ans, le 18 Mars 1871, débutait la Commune de Paris, dans le mouvement d'un élan patriotique et républicain qui s'était levé après l'effondrement  militaire du IIIème empire, effondrement encore confirmé après les tergiversations du gouvernement républicain bourgeois dit de «Défense Nationale», après un long siège de Paris ayant imposé au peuple de profondes souffrances. La faillite de ce gouvernement avait abouti à  l'élection, dans des conditions anormales, en Février 1871, d'une chambre dominée par les monarchistes qui préféraient sans doute déjà les troupes prussiennes au peuple de Paris en armes. Il n'était plus question de «guerre à outrance», Thiers, conservateur et libéral l'emportait et reprenait aussitôt les pourparlers avec Bismarck, signant la paix le 10 Mars 1871 et s'installant, significativement, à Versailles.

A Paris, ville républicaine, la mémoire de la Commune insurrectionnelle de 1792 et la volonté de changer la société restaient plus vivaces que jamais, les révolutionnaires, blanquistes, proudhoniens, socialistes de diverses écoles, étaient organisés dans des formations insurrectionnelles, dans les sections de la jeune Association Internationale des Travailleurs, dans les chambres syndicales, les sociétés corporatives, les clubs et les assemblées populaires.
Enfin, la Garde Nationale, force militaire rassemblant les citoyens en armes  restait mobilisée; son élargissement numérique ayant aussi modifié sa composition sociale, avec des bataillons plus populaires, composés d'ouvriers ou d'artisans nombreux. Les officiers y étaient élus et la capacité d'auto-organisation y était large.

Dans la nuit du 17 au 18, un coup de main exécuté par une division et une compagnie envoyés par Thiers vise à occuper les points stratégiques de la capitale et à récupérer l'artillerie pourtant acquise par souscription des Parisiens pour lutter contre les Prussiens. La riposte est inévitable et immédiate. Le 18 mars, à Montmartre et Belleville, les soldats sont mis en échec par la population. Ils refusent de tirer sur la foule et fraternisent. Le Comité Central de la Garde Nationale s’installe à l’Hôtel de ville et, dans un souci immédiat de légitimité, appelle à l’élection d’une assemblée communale. Dans la soirée, les principaux bâtiments publics sont réinvestis.
Ainsi, la conscience patriotique fonde d’abord l’insurrection du Comité Central de la Garde Nationale, qui prend l’initiative de ne pas laisser à une puissance étrangère le soin de trancher par la force et de favoriser une faction, pour décider ailleurs des conditions d'existence du citoyen. Bien des peuples aujourd’hui encore peuvent mesurer la profondeur de leur ruine quand leur souveraineté est ravie par des puissances étrangères, proches ou lointaines.

Au delà, commence avec La Commune de Paris la recherche d'une démocratie authentique, gouvernement du peuple, par le peuple et pour le peuple.
L'élection du Conseil de la Commune a lieu le 26 mars. La Commune de Paris est proclamée le 28 mars. Parmi les 85 élus, 25 ouvriers. 19 élus refusent de siéger et rejoindront Versailles, une majorité animée par des blanquistes, des jacobins, une vingtaine de radicaux ou révolutionnaires indépendants, une minorité, plus soucieuse de transformations sociales et moins encline aux décisions autoritaires rassemble des élus partisans d'une organisation socialiste décentralisée et autogérée, influencés par l'Internationale.
Le 28 Mars la foule se réunit sur la Place de l'Hôtel de Ville dans une vibrante ambiance de Fête, pour proclamer la Commune.
Sur le plan institutionnel, première particularité remarquable, la Commune est un régime d'assemblée sous contrôle populaire: le Conseil rassemble les pouvoirs législatif, exécutif, judiciaire et militaire. Comme le précise plus tard Varlin «il faut, chaque fois que nous ferons un décret, indiquer quel sera le délégué chargé de l'exécution pour ce décret», suivant le principe du mandat impératif, les membres sont «responsables et révocables à tout moment».
En matière de démocratie représentative, pas de condition de nationalité, pas de cumul des mandats[1] (un député à l'Assemblée Nationale ne peut être élu Conseiller à Paris).

Rappelons aussi, que le souci de publicité des séances, actes solennels, décrets et arrêtés est rapidement affirmé avec l'affichage du Journal Officiel. En effet, malgré les difficultés matérielles, les journaux se multiplient et de nombreuses feuilles hostiles visent à la désinformation.

Une autre particularité encore plus remarquable est la recherche de la mobilisation des organisations sociales et l'exercice effectif de la souveraineté populaire au quotidien, par un contrôle réel, direct et effectif, des citoyens sur leurs conditions d'existence plutôt que la seule  représentation avec délégation de pouvoir. C'est la préfiguration de ce que l'on qualifierait peut-être aujourd'hui d'authentique démocratie participative.
Dans cet esprit, les femmes ne revendiquent pas d'abord le droit de vote, mais leur place réelle dans la cité où elles vont effectivement exercer de grandes responsabilités, créant la plus grande association de solidarité et d'assistance, des écoles pour filles; avec les communards, elles luttent aussi pour l’égalité des salaires à compétence égale, ce sera fait pour l'égalité entre instituteurs et institutrices, elles luttent encore pour obtenir du travail.

Cette démocratie approfondie explique que, malgré la brièveté de ses 72 jours d'existence, la Commune ait réussi à adopter des mesures d’avant-garde dans tous les domaines.
Des mesures de circonstance, mais vitales, sont prises: pensions aux blessés à l'ennemi, aux femmes mariées ou non de garde national tué, remise des objets de nécessité gagés au mont de piété
La Commune entend aussi réaliser l’aspiration du mouvement ouvrier français du 19ème siècle l’émancipation des travailleurs par les travailleurs  eux-mêmes avec des mesures visant à l'amélioration des conditions de travail ou à la promotion de l'autogestion: abolition du travail de nuit des boulangers, lutte contre le chômage, constitution de coopératives ouvrières ou réquisition des ateliers abandonnés, interdiction des amendes et retenues sur salaire,  interdiction de l’expulsion des locataires pour ne citer que les plus connues
Le 3 avril, les communards décrètent la séparation de l’église et de l’état, 35 ans avant la loi de 1905, instaurent l’école laïque, gratuite et obligatoire et créent un enseignement professionnel pour tous, filles et garçons.
Avec l'isolement lié au siège de Paris, les oppositions ville/campagne bien exploitées par les conservateurs, la Commune n'a pas rencontré avec sa proposition de Pacte Fédératif tout l'écho qu'elle espérait après des tentatives qui avaient eu lieu plus tôt, à Lyon, Marseille, Saint-Etienne, Le Creusot, Toulouse, Narbonne, Perpignan, ou d'autres villes encore. Ce mouvement communaliste n'a pu être coordonné, mais l'idée fédérative (une fédération de communes remplaçant l’État) portée notamment par les proudhoniens avait été mise en avant.
Comme l'apprécie Karl Marx, à sa façon: «Ce ne fut pas une révolution contre telle ou telle forme du pouvoir d’État, légitimiste, constitutionnelle, républicaine ou impériale. Ce fut une révolution contre l’État lui-même, cet avorton surnaturel de la société ; ce fut la reprise par le peuple et pour le peuple de sa propre vie sociale. Ce ne fut pas une révolution faite pour transférer ce pouvoir d'une fraction des classes dominantes à une autre, mais une révolution pour briser cet horrible appareil même de la domination de classe.»[2]
Parmi les grandes questions qui restent d'actualité et qui mériteraient d'être longuement développées, Les Communards n'invitent pas seulement à approfondir les conceptions de Fédération ou d’État, d’État ou de Nation, les communards portent aussi une aspiration universelle.
Nombreux sont les étrangers qui ne s'y trompèrent pas et participèrent à la Commune, travailleurs immigrés, belges, luxembourgeois, garibaldiens, patriotes et révolutionnaires qui cherchaient asile dans le pays incarnant les Droits de l’Homme. Un juif hongrois, ouvrier bijoutier, Léo Frankel, sera promu ministre du travail et inspirera l’œuvre sociale de la Commune. Des généraux polonais, Dombrowski et Wrobleski, assurent des commandements militaires. Elisabeth Dmitrieff dirige avec Nathalie Lemel l’Union des Femmes. Tous les étrangers sont reconnus à part entière dans la société.
Comme l'écrivait une feuille communarde :
«Frères du monde entier, notre sang coule pour votre liberté, notre triomphe est le vôtre: debout, tous ! Voici l'aube ! »

Les enjeux démocratiques illustrés par la Commune de Paris sont toujours devant nous, attachons-nous à les faire connaître!
Des plaques rappelant le nom des élus de la Commune ont maintenant été posées dans un grand nombre de mairies d'arrondissement à Paris. Quant à l' l'Hôtel de Ville de Paris, notre demande de pose d'une plaque à l’entrée de la bibliothèque du Conseil de Paris vient d'être adoptée et rendra cet hommage :
«AUX ELUS DE LA COMMUNE DE PARIS
QUI ONT ADMINISTRÉ LA VILLE DU 26 MARS AU 28 MAI 1871»
Nous appelons aussi toutes celles et tous ceux qui veulent résister aux atteintes aux droits sociaux et démocratiques  et qui luttent pour en conquérir de nouveaux à se rassembler en participant à la fête de la Commune 2014, qui aura lieu le 27 septembre sur la place du même nom dans le 13é arrondissement.
Comme celles et ceux qui sont morts, sauvagement assassinés, il y a 143 ans,
         Nous sommes ici pour l’humanité!
         Vivent les communards!
         Vive la Commune!


[1]     Il s'agit de décisions concernant des cas d'incompatibilité politique et non pas simplement technique  entre le mandat de délégué à la Commune et de représentant à l'Assemblée Nationale, ou encore de cumul interne. Comme attesté dans les Actes de la Commune adoptés à la séance du 16 Avril , la « Décision sur l'incompatibilité entre les fonctions de chef de Légion et de membre de la Commune ». cf. Boisseau P. La Commune de Paris de 1871 à l'épreuve du Droit Constitutionnel Presses Universitaires  de l Faculté de Droit de Clermont-Ferrand : Clermont-Ferrand, 2000. p.117-121
[2]     K. Marx, Premier essai de rédaction de La Guerre civile en France, présenté dans Marx, Engels, Lénine, Sur la  Commune de Paris. Editions du Progrès : Moscou, 1971. p.145. (apud Boisseau P, op.cit. p.275-276)

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